LE REVEIL D'ARTHUR
Arthur vieillissait. Qui allait lui succéder ? Mordred, son fils et celui de sa demi-sœur Morgane, convoitait le trône. Mais il le lui refusait obstinément, parce qu'il ne l'en sentait pas digne. Il lui préférait son neveu Gauvain. Or, le jeune chevalier ne l'entendait pas ainsi.
En ce moment, le roi se remémorait le passé, un passé douloureux, ce passé qu'il aurait voulu effacer, son passé de père malgré lui.
Un soir, Morgane lui avait rendu visite et, à son insu, lui avait fait boire un philtre magique, qui lui avait ôté le sens de la réalité. De cette nuit maléfique, était né un garçon, prénommé Mordred par sa mère. Quelques années plus tard, Arthur avait appris la naissance de ce fils issu de l'inceste, prêt à tout contre lui. Que faire, sinon affronter la haine de ce fils qu'il n'avait pas désiré.
Encore plongé dans ses pensées, mais reprenant peu à peu ses esprits, il entendit à peine le messager qui lui apprenait la déclaration de guerre de Mordred, auquel il continuait de refuser le trône.
Suivi de sa puissante armée, le fils indigne se dirigeait vers Camlann. Sur leurs destriers dès l'aube, se frayant un passage parmi l'épais brouillard, les deux rivaux se retrouvèrent soudain face-à-face, mirent pied à terre et engagèrent tout de suite le combat.
Le roi dans son armure argent, tenant fermement son bouclier ovale dans la main gauche et son épée étincelante dans la droite, celle du pouvoir suprême, Excalibur, s'avança lentement vers son adversaire vêtu d'une cotte de mailles, d'un écu et d'un glaive en or. On ne voyait pas leurs yeux cachés par les heaumes, mais on devinait leur détermination à leur allure fière et imposante.
Mordred se précipita vers Arthur et lui porta un coup violent au genou. Ce dernier vacilla, mais réussit à asséner à son ennemi un terrible choc sur le casque, qui vola en éclats. Pris de rage, le jeune homme, quoique mortellement blessé, brandit alors sa lance et l'enfonça dans les entrailles de son père, qui, dans un ultime effort, transperça son fils de la même manière. Alors, ce dernier s'écroula au sol dans une mare de sang. Il était mort et Arthur pas loin de l'être. Cependant, le survivant, sanguinolent, à bout de force mais conscient, appela son fidèle compagnon Perceval et lui confia la mission de rendre Excalibur au lac où la Fée l'avait forgée.
Le preux chevalier la lança vigoureusement, et Viviane la saisit de sa main fine gantelée de dentelle blanche, l'enfouissant à jamais dans les profondeurs obscures, où nul le la retrouverait.
Pendant ce temps, Morgane avait une vision, celle de son demi-frère en train de mourir et de son fils mort.
Prise de pitié malgré tout pour Arthur, et en dépit de son chagrin de mère, elle fit appel à ses huit soeurs, qui le transportèrent dans une nef sur l'île d'Avallon.Là, elles le prirent en charge et le soignèrent avec des herbes et des incantations magiques et, au lieu de mourir, Arthur entra en dormition. La Bretagne venait de perdre son plus grand roi.
Des siècles s'écoulèrent dans le sommeil pour Arthur et son fidèle ami Merlin. Mais un jour, ce dernier fut réveillé par Viviane pour vivre de nouveau au grand jour à Brocéliande, « La forteresse de l'Autre Monde ». Quand il revint à Kaamalot pour rendre visite à son fils spirituel, stupéfait, troublé, meurtri , il découvrit que son château avait été détruit et que ce dernier était mort depuis longtemps. Il communiqua aussitôt avec Morgane, l'incomparable magicienne toujours au chevet de son frère, qui lui révéla l'existence d'Arthur et le chemin pour le rejoindre sur l'île aux Pommiers.
Quand Merlin arriva à son chevet en une fraction de seconde, Arthur était toujours endormi. Alors, il le réveilla. Morgane, qui se trouvait à côté d'eux, restait pensive. Il fallait que le magicien oublie à jamais ce qu'il avait vu. De plus, comment son frère allait-il réagir à son endroit la préoccupait plus que tout.
Etonné, ému et heureux, le roi se leva et embrassa celui qui l'avait recueilli, guidé dans sa destinée. Et tous deux s'en allèrent chercher l'arme sacrée. Viviane le reconnut et la lui tendit. Ainsi, il parcourut la Bretagne tout entière, à la recherche de nouveaux chevaliers, pour rétablir la Table Ronde. Mais un obstacle insurmontable l'attendait. Les siècles ayant effacé sa légende, il lui fut impossible de recréer un royaume. Sur les conseils éclairés de son protecteur, il se rendit à La Roche-aux-Fées construite par les fées elles-mêmes , - comme l'indique le patronyme du lieu -, qui transportèrent les roches gigantesques dans leurs tabliers et en fit sa demeure. Mais il s'ennuyait sans Guenièvre, qui reposait dans son tombeau. Alors, il demanda à Merlin de réveiller sa femme bien-aimée. Or celui-ci n'avait le pouvoir de ressusciter les morts, si bien que l'Enchanteur, voyant la déconvenue de son protégé, lui proposa de vivre auprès de la fée Gwénaëlle.
Quand il l'aperçut dans sa robe somptueuse, aux voiles argentés et dorés, il devint éperdument amoureux d'elle et réciproquement. Dès lors, ils vécurent heureux, grâce à la métamorphose inévitable de son épouse. En effet, tout individu marié avec un humain devenait mortel à son tour. De ce fait, ils eurent beaucoup d'enfants, huit en tout, quatre filles prénommées Guenièvre, Viviane, Morgane et Mélusine, et quatre garçons aux noms prestigieux, Perceval, Lancelot, Galaad et Gauvain.
Aujourd'hui, on peut rencontrer leurs descendants à Kaamalot, Camlann et en Armorique.
Le voyageur qui s'y aventure peut entendre leurs douces voix et leurs rires discrets. Et parfois, si l'on prête plus attention , on aperçoit Arthur et Gwénaëlle se promenant main dans la main dans Brocéliande.