LA MAISON DES FEES
Conte de Diane, inspiré par la maison sculptée de Jacques Lucas et illustré par Modo.
Dans leur jardin où s’entrelaçaient les lierres opulents, derrière leur rempart de dentelle sculptée aux visages de soleil et de korrigans, les Fées s’accommodaient mal du climat qui régnait dans leur village. En effet, deux enfants plus indisciplinés que jamais, ne cessaient de se disputer. Ils étaient toujours en lutte, tant ils se mésentendaient, et on avait oublié depuis longtemps la raison de leur différend. Leurs parents avaient beau les gronder, rien n’y faisait.
Un jour, les Fées décidèrent de se promener dans la contrée par curiosité et, surtout, pour mettre un terme à ce désordre permanent. Leur Reine, Francik, avait projeté de mettre à l’épreuve ces chenapans, ou bien il leur en coûterait…
Près de la fontaine d’argent, les deux garçons étaient en train de se battre. En général, il n’y avait pas de blessé. Mais aujourd’hui, à la veille des réjouissances de Samain, leur combat, plus violent, promettait de se terminer mal. Francik leur apparut soudain, dans ses atours de voile aux couleurs tendres de pêche, qui s’interposa.
- Pourquoi vous rosser, alors que tant de bonheur vous attend ? leur demanda-t-elle.
Interloqués, les adolescents s’arrêtèrent au son de sa voix ferme et mélodieuse à la fois, qui venait de les frapper. L’un, Albert, le plus réfléchi, répondit en balbutiant :
- Nous l’ignorons. Nos parents se détestent et nous aussi, nous nous détestons.
Jacques, le plus ardent, répliqua sèchement :
- De quoi vous mêlez-vous ? Ici, c’est nous qui faisons la loi.
La Reine des Fées, ne se laissant pas démonter par le garnement, leur posa une question malicieuse, la question de confiance. Croyaient-ils encore aux fées ?
- Et si je vous dis que vous pouvez réconcilier vos familles, m’accorderez-vous crédit ?
- Nous ? s’écrièrent-ils ensemble, étonnés de pareille proposition, parce qu’ils avaient oublié que les pouvoirs magiques existaient.
- Oui, vous ! leur répondit-elle, en appuyant sur chaque mot.
- Que pouvons-nous faire ? questionna Albert.
- Pour cela, vous aurez trois épreuves à affronter et, si vous en sortez vainqueurs, vous gagnerez fortune et bonheur.
Ils acceptèrent de bon cœur, tant ils étaient las de s’affronter et désireux de mettre fin à leur vaine querelle.
La première épreuve consistait à aller trouver les korrigans et leur dérober la hache de guerre pour la lui remettre.
Ils pénétrèrent en Brocéliande, « La Forteresse de l’Autre Monde », non loin de leurs domiciles, où ces mauvais génies se cachaient dans les chênes plusieurs fois centenaires. La difficulté était extrême. Invisibles et silencieux, ils étaient inaccessibles. Comment faire pour les approcher ?
Jacques décida d’allumer un feu. La fumée les obligerait à quitter leurs arbres et, pendant leur fuite, Albert s’emparerait de ladite arme.
Quand ils se retrouvèrent à la fontaine d’argent, Francik les attendait. Elle les félicita, puis ils s’éloignèrent pour la deuxième épreuve.
Celle-ci présentait un obstacle qui leur paraissait insurmontable : couper une touffe de gui aussi rond que la terre. Ils passèrent en revue des faîtes et des faîtes quand, tout à coup, Albert en aperçut une, perchée au sommet du chêne sacré depuis des temps immémoriaux, que tous respectaient. Qu’à cela ne tienne ! Jacques se fit faire la courte échelle et, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, descendit, exhibant fièrement la boule parfaite dans une main. La Reine de Fées les complimenta.
Ragaillardis et plus sûrs d’eux maintenant, ils affrontèrent la troisième épreuve, la plus délicate, avec assurance et ténacité : parvenir à trouver le cerf blanc et à le domestiquer. Mission impossible s’il en était, car personne à ce jour n’y avait réussi.
Ils le cherchèrent des heures et des heures durant, sans trouver quelque trace de son passage. Une semaine plus tard, toujours en Brocéliande, ils perçurent un brame.
- C’est lui ! C’est lui ! Nous allons le débusquer, cria Albert, non sans enthousiasme.
- Tu as raison. Il n’y en a qu’un qui vive en ce temple de Merlin, confirma Jacques.
Puis il ajouta :
- Si nous l’approchons en lui parlant doucement, nous avons une chance de l’amadouer et le ramener.
Nos deux compères, plus hardis que jamais, et marchant à pas de loup pour éviter de l’effaroucher, avancèrent si près de lui que, subitement face à face avec le majestueux cervidé, ils restèrent sans voix. Celui-ci les regardait, blanc comme la neige, placide et mystérieux, les yeux pareils à des diamants. Ils étaient si fascinés que, cloués en place, aucun des deux ne songeait à agir. Mais, se reprenant, Jacques murmura des paroles si réconfortantes que l’animal se dirigea vers eux et, les précédant, les conduisit lui-même à la fontaine d’argent où Francik se tenait.
Elle caressa aussitôt la tête de la si belle bête, qui s’agenouilla à ses pieds, telle la licorne devant une jeune fille vierge. Puis, elle tendit une bourse emplie de pièces d’or à chacun d’eux, qu’elle remercia chaleureusement, embrassa, et encouragea à faire bon usage de ce don. Sa tâche terminée, elle disparut en un éclair et le cerf blanc avec elle.
Comme sortis d’un long rêve, Jacques et Albert rentrèrent chez eux, taisant leur incroyable aventure et tendant à leurs pères l’argent gagné de haute lutte, en les priant de ne demander aucune explication, ce qu’ils firent, non sans décider de fêter l’événement, en réunissant les deux maisons autrefois ennemies, en signe de réconciliation.
Et dès lors, l’harmonie rétablie, le village vécut dans l’opulence et la joie, et nos deux jeunes gens connurent succès et bonheur.