Acte I Scène 3
Phèdre, Œnone.
PHÈDRE
N'allons point plus avant, demeurons, chère Œnone.
Je ne me soutiens plus ; ma force m'abandonne :
Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi ;
Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.
Hélas !
(elle s'assied.)
ŒNONE
Dieux tout-puissants, que nos pleurs vous apaisent !
PHÈDRE
Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent !
Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,
A pris soin sur mon front d'assembler mes cheveux ?
Tout m'afflige, et me nuit, et conspire à me nuire.
ŒNONE
Comme on voit tous ses vœux l'un l'autre se détruire !
Vous-même, condamnant vos injustes desseins,
Tantôt à vous parer vous excitiez nos mains ;
Vous-même, rappelant votre force première,
Vous vouliez vous montrer et revoir la lumière,
Vous la voyez, madame ; et, prête à vous cacher,
Vous haïssez le jour que vous veniez chercher ?
PHÈDRE
Noble et brillant auteur d'une triste famille,
Toi, dont ma mère osait se vanter d'être fille,
Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,
Soleil, je te viens voir pour la dernière fois ! *
ŒNONE
Quoi ! vous ne perdrez point cette cruelle envie ?
Vous verrai-je toujours, renonçant à la vie,
Faire de votre mort les funestes apprêts ?
PHÈDRE
Dieux ! que ne suis-je assise à l'ombre des forêts
Quand pourrai-je au travers d'une noble poussière,
Suivre de l'œil un char fuyant dans la carrière ?
ŒNONE
Quoi, madame ?
PHÈDRE
Insensée ! où suis-je ? et qu'ai-je dit ?
Où laissé-je égarer mes vœux et mon esprit ?
Je l'ai perdu : les dieux m'en ont ravi l'usage.
Œnone, la rougeur me couvre le visage :
Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs ;
Et mes yeux, malgré moi, se remplissent de pleurs.
Racine, 1677
* Phèdre, dans sa généalogie, descend d'Apollon, le dieu du soleil et de la lumière, qui a été maudit par Vénus et ainsi condamné, lui et sa descendance, à n'avoir que des amours malheureuses.