Portrait d'une fille épanouie :

Lucie sourit. Quand elle déambule dans une allée, elle le fait sûrement, décidément, vigoureusement, énergiquement, promptement. C'est comme si elle ne voulait pas perdre son temps à s'adonner à une activité si ordinaire, banale, futile. Les hommes ne se retournent pas sur elle, elle n'est pas belle. Objectivement en tout cas. Elle possède un nez un peu trop proéminent, des yeux réduits et perçants, un visage arrondi, des joues écarlates et rebondies encadrées par de fines mèches rousses, décolorées, ternes et décoiffées.


Cependant, Lucie détient une qualité rare que peu de gens ont : elle aime la vie. Elle aime observer le lever du soleil aux aurores, contempler sa lumière argentée qui laisse derrière elle des perles de clarté sur la plaine. Elle admire l'impressionnante majesté des grandes géantes de pierre où elle adore randonner. Le simple fait de tremper ses pieds dans l'eau salée et de se laisser chatouiller les orteils par l'écume iodée la réjouit. C'est une fille simple. C'est cette différence qui fait pétiller son regard, atténue les traits disgracieux de son visage jusqu'à les effacer, qui rend son sourire contagieux. Elle est heureuse, joviale, enjouée, enthousiaste, aimable, accueillante, attentionnée, franche, dévouée, loyale, constante, tenace, solide, attachante. Elle est festive, démonstrative, éloquente, expressive, parfois agaçante. Elle semble sûre d'elle, extravertie. Elle ricane bruyamment, s'esclaffe, danse jusqu'à en perdre haleine, parle vite. Dans une conversation, il lui arrive fréquemment de couper la parole. Cela peut paraître impoli mais ce n'est pas son avis : si elle a quelque chose à dire, elle le dit. Elle ne laisse jamais ses amis tomber. Elle est leur phare, leur guide, leur envie, leur courage. Elle est comme l'étoile du berger, c'est elle qui montre la direction.


Malgré les aspects les plus visibles de son caractère qui laisseraient penser le contraire : elle est sensible. Souvent, elle s’effondre le soir dans le noir, à l'abri des regards car elle ne veut pas montrer ses faiblesses. Ne vous fiez pas à son sourire, il sait très bien mentir. Elle n'a pas confiance en elle mais ne le dit pas. La vie est trop courte pour rester sur des choses qui font mal. Face aux situations critiques, elle ne baisse jamais les bras. D'après elle, il n'y a pas de problèmes, seulement des solutions. Elle est consciente qu'il ne faut pas perdre espoir, pas encore, pas maintenant. C'est ce à quoi il faut s'accrocher en dernier. Lorsque elle aura perdu l'espoir, elle aura tout perdu, elle ne sera que l'ombre d'elle même. Alors elle se bat car elle a assimilé une chose : même si l'on croit que tout est terminé, que l'avenir paraît sombre et désespéré, il y a toujours de l'espoir. Lucie est une femme forte.

Portrait d'une fille mal dans sa peau :

Une fois de plus, Léa pleure. Des larmes coulent sur son visage en lame de couteau, elle ne s'en est pas encore aperçu. Ça lui arrive régulièrement : le spleen s'empare d'elle sans qu'elle ne le veuille parce qu'à présent, être abattu n'est plus un état : c'est son caractère. Son maquillage coule. Elle a de grands yeux bleus tristes cernés de noirs, un visage fin, des pommettes creusées, le teint livide, la tête baissée, le dos voûté, l'allure fébrile, le corps fragile. Malgré ce qu'elle pense, elle n'est pas laide. C'est ce qu'elle veut faire croire au reste du monde, mais les hommes l'observent souvent, du coin de l’œil, furtivement, comme honteux d'admirer une ombre. Quand les autres discutent, elle s'éclipse. Pourtant, elle déborde de réflexions, de culture, de connaissances, de repartie mais elle ne veut pas le montrer. Elle ne veut rien laisser paraître.

Elle pourrait s'intégrer, mais elle ne le fait pas. Elle n'en trouve pas la force peut être... Elle sort une cigarette, l'allume fébrilement et examine la beauté de la fumée cendrée consumer le papier blanc. Elle fume, sûrement parce que les artistes désespérés comme elle fument également. Comme quoi, elle n'est pas si différente : elle rentre dans un moule. Lorsque tout le monde est en groupe et rit à gorge déployée, elle, est solitaire et effondrée. Elle se rappelle que la vie ne tient qu'à un fil et elle sait pertinemment que son fil à elle faiblit de jour en jour sous le poids de son malheur. Ce malheur qui l’emprisonne, l'empêche d'exposer ce qu'elle vaut. Elle aimerait tellement montrer ses qualités. Elle est honnête, intègre, observatrice, habile, maligne, perspicace, poétique, rêveuse, sage, posée, pacifiste, respectueuse, tolérante, visionnaire, humble. Elle a un don pour l'écriture, chante divinement bien, analyse rapidement et s'intéresse à tous les sujets. Ce qui la rend folle est le manque de maturité des gens, parfois, elle les dévisage, elle remarque leurs multiples défauts, leurs hypocrisies, leurs ridicules, leurs idioties, leurs inepties qui lui sautent aux yeux, elle ne parvient pas à comprendre pourquoi ils se dévoilent ainsi, elle pense...elle pense qu'ils ne savent sûrement pas ce que c'est la douleur.

Elle est introvertie, prostrée, sa personnalité est d'être murée en son être, enfermée dans son mutisme. La carapace qu'elle s'est forgée l'engloutit jour après jour, elle ne parvient plus à empêcher ses perles de rage de rouler le long de ses joues, elle les hait, c'est un signe de faiblesse et elle n'est pas faible ! En tout cas, c'est ce qu'elle ne veut pas être... Elle n'a que rarement le sourire aux lèvres hormis celui derrière lequel elle se cache et qui dit : "laissez moi tranquille". Ni la beauté du ciel, ni les senteurs boisés de l'herbe fraîchement coupée, ni la douce brise qui caresse son visage, ni les spirales des flocons qui tombent un soir d'hiver, ni les rayons du soleil qui brûlent sa peau blême, ni la chaleur qui persiste un soir d'été, ni les choses les plus simples, ces choses qui ne représentent rien mais qui font tout, rien ne parvient à lui prouver que la vie est belle et qu'elle vaut la peine d'être vécue. Elle est têtue, butée, elle se convainc que le bonheur n'est pas pour elle et ne fait rien pour que ça change. Ce n'est plus une enfant, pourtant elle aimerait tellement l'être, on lui a volé son insouciance à coup de violence et de malchance, à coup d'accidents et d'infortune. Certes, son passé fut semé d'embûches cependant elle est assez forte pour penser à son avenir et le rendre magnifique pour s'en souvenir à jamais. La vie n'est en soi ni positive ni négative : c'est la place que prend le bien ou le mal dans votre vie suivant l'espace que vous lui laissez qui compte. Elle ne croit plus en la vie, elle abandonne le combat, au fond elle est faible. Ce soir encore, elle attrapera sa lame de rasoir, observera son bras ensanglanté, ressentira ce mal qui ne fera qu'amplifier son idée reçue de l'existence. Léa est atterrée, mais ne fait rien pour que ça change. Léa est seule. Léa est accablée. Léa n'a rien d'une femme forte.